Horloges, science et patrimoine

Vérités et mensonges

Avertissement : ce site n'engage aucun employeur et est établi à titre de chercheur indépendant. Il contient des critiques constructives et ne cherche en aucun cas à dénigrer. Rétablir la vérité n'est pas dénigrer, c'est le devoir du chercheur.

Ce site est consacré à diverses horloges patrimonialement importantes, conservées dans des musées ou municipalités, notamment des horloges astronomiques. Le but de ce site n'est pas de décrire ces horloges en détail, mais de donner des informations sur leur actualité, sur des travaux en cours, des restaurations, etc. Il s'agit aussi de donner des points de vues différents de ceux soit-disant officiels, qui ne donnent souvent qu'une partie de l'information, et souvent des informations inexactes. Aujourd'hui, la médiation culturelle et la mise en scène priment souvent sur la recherche, au point de la freiner et de condamner certaines recherches à ne jamais être faites.

Le but de ce site est aussi de remettre la recherche sur le devant de la scène et de montrer que toutes ces horloges ne peuvent être conservées et développées scientifiquement que par une collaboration étroite avec des chercheurs, et notamment qu'il est essentiel de prendre en compte les besoins des chercheurs. Une bonne intervention sur le patrimoine nécessite le respect de certains principes. Malheureusement, beaucoup d'interventions sur des horloges ou des machines complexes, si ce n'est toutes, ne font intervenir que des conservateurs, des horlogers ou d'autres restaurateurs, alors que les compétences requises pour faire un travail de qualité vont au-delà de simples questions de rhabillage ou de restauration horlogère. Il ne suffit par exemple pas d'avoir été à l'INP ou d'avoir travaillé dans l'horlogerie en Suisse pour être apte à développer scientifiquement une horloge d'édifice ou une horloge astronomique. Il n'y a d'ailleurs pas de formation en France ou ailleurs dans ce domaine.

Il est important de comprendre cette différence entre un restaurateur et un chercheur. Il s'agit de métiers différents, et, au sein de la recherche, il y a aussi des secteurs différents. Certains sont certes à la portée des restaurateurs, mais d'autres leur sont beaucoup plus étrangers. Un restaurateur ne peut pas s'improviser chercheur, tout comme un restaurateur ne peut pas s'improviser chirurgien. L'implication quasi unique dans certaines interventions patrimoniales de restaurateurs et d'horlogers qui n'ont ni la formation, ni les compétences pour développer scientifiquement des horloges, notamment complexes, a de lourdes conséquences sur la conservation et la documentation du patrimoine.

En fait, ce n'est pas uniquement le fait que certaines interventions se font sans recherche complète (dans le sens où l'on ne fait pas faire des recherches que les chercheurs savent pouvoir être faites) qui pose un problème, mais le fait que certaines analyses ne peuvent pas être faites par de simples horlogers ou restaurateurs. Il y a par exemple des mécanismes qui nécessitent des développements mathématiques qu'un horloger ne peut pas faire. Je ne pense pas qu'il y ait en France un seul horloger suffisamment compétent pour superviser par exemple une horloge astronomique comme celle de Strasbourg. Et si les chercheurs compétents n'interviennent pas dans de telles interventions, les recherches qui devraient et pourraient être faites ne sont alors tout simplement pas faites. (Soit dit en passant, je pense que nombres de restaurateurs ont une vision très simpliste des mathématiques, la réduisant au calcul. Un restaurateur qui dénigre les chercheurs mettait récemment en avant sur sa page Facebook le cas de la « meilleure étudiante en mathématiques d'Afrique », alors que cette étudiante a simplement excellé en calcul rapide, ce qui n'est pas du tout la même chose. Les grands calculateurs du passé comme Inaudi n'étaient pas de grands mathématiciens.)

Il y a malheureusement aujourd'hui dans les milieux patrimoniaux ce que l'on pourrait appeler un populisme patrimonial, quoique ce terme ait déjà été utilisé pour un concept un peu différent. Ce que j'entends par là, c'est que la recherche est ignorée, voire niée, par les milieux patrimoniaux et ce qui oriente les travaux, ce sont les opinions des différents intervenants (conservateurs et restaurateurs), dans une perspective de pure conservation matérielle, et avec l'objectif de satisfaire le public, ce qui n'est donc pas loin du populisme politique. Les interventions ne se font que par des marchés et sont conduites sans supervision scientifique adéquate. Comme la recherche est ignorée, ou niée, par les conservateurs (pour lesquels elle est captée par les marchés de restauration), il est même légitime de parler de négationisme de la recherche, celui-ci cachant souvent d'autres priorités des intervenants, par exemple économiques ou d'auto-promotion.

Le populisme patrimonial, c'est faire des interventions dans l'intérêt d'une carrière ou d'une administration, plus que dans l'intérêt du patrimoine ou du public. C'est aussi faire de la démagogie, accentuer l'esthétique, c'est montrer la surface des choses plutôt que la profondeur, c'est simplifier plutôt que de vraiment expliquer, et c'est mettre en scène. C'est créer des spectacles, faire plaisir, plutôt que de vraiment communiquer. Beaucoup d'interventions patrimoniales de ces dernières années peuvent être analysées sous cet angle-là. Et ce populisme patrimonial est aussi une manière d'asservir le peuple, de décider à sa place, et de considérer qu'il n'a pas besoin de, ou ne peut pas, comprendre tous les éléments d'une intervention. C'est aussi une attitude à sens unique : on donne quelque chose au public, mais on ne fait pas appel au public (ou aux chercheurs) pour l'intervention.

Le sujet des horloges d'édifice, et des mécanismes complexes en général, ne devrait pas être considéré comme anecdotique. Les horloges, en particulier les horloges d'édifice, figurent parmi les rares constructions dont le fonctionnement est à la fois accessible à tous, mais aussi fait intervenir des notions complexes de mathématiques, de physique, d'astronomie, ou tout simplement de synchronisation. Une horloge recèle un immense potentiel pédagogique et ce potentiel n'a à ce jour pratiquement pas été exploité, ou a seulement été très mal exploité. Il y a tant d'horloges exposées en France, mais pratiquement aucune n'est véritablement exploitée comme elle devrait l'être. En outre, d'un point de vue patrimonial, il se pose toute la question de la transmission et de l'accessibilité des archives, sujet qui est à un niveau catastrophique en France, puisque presque toutes les archives sont bloquées par les institutions patrimoniales (DRAC, musées) qui considèrent visiblement que le public ne doit pas y avoir un accès libre et que ce sont les restaurateurs qui peuvent décider seuls de ce qui est accessible et de ce qui ne l'est pas, ce qui est faux. En fait, ce que tous les exemples ci-dessous démontrent, c'est que les institutions du patrimoine, mais aussi les restaurateurs, ne peuvent à eux seuls intervenir scientifiquement sur un patrimoine de ce genre, qui est très différent du patrimoine plus « classique » que connaissent les historiens de l'art, comme l'architecture, la sculpture et la peinture.

Je tiens enfin à préciser que je ne suis pas un passionné d'horloges et je ne suis pas un collectionneur. Je me bats notamment pour que le patrimoine soit accessible à tous et qu'il ne reste pas aux mains des conservateurs et des restaurateurs. Je fais un travail de recherche bénévole. En examinant et étudiant des mécanismes, je suis aussi un peu comme un médecin qui apprend sur les malades. Le médecin a une formation, mais il la complète sur le terrain. Ce qu'il apprend avec un patient lui sert pour un autre. Son but n'est pas, en général, de publier un livre sur l'art de soigner les patients, même si certains le font. Dans mon cas, chaque mécanisme m'apprend quelque chose et cela me sert à mieux comprendre les autres, et aussi à conseiller les propriétaires de ces mécanismes. Je ne suis par contre pas là pour aider des collectionneurs, des antiquaires, des horlogers ou des « experts » intervenant dans des ventes aux enchères. Mon but est de contribuer à la conservation du patrimoine scientifique et à son développement et cela passe par l'inventaire, l'étude et l'accessibilité des travaux de recherche. Mais l'accessibilité des données de la recherche ne doit pas nuire à la conservation. Ceci impose des actions concertées entre les institutions du patrimoine et les chercheurs, qui n'existent pas à ce jour.

Pour une vue d'ensemble de l'histoire de l'horlogerie, on pourra consulter le livre A general history of horology (Oxford University Press, 2022), qui contient notamment mon chapitre sur les horloges astronomiques des 19e et 20e siècles.

Le contenu de cette page va prochaînement s'enrichir.

D. Roegel

Dernière modification : 14 juillet 2024.