Principes des interventions patrimoniales

Vérités et mensonges

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J'ai écrit en 2019 un petit guide sur les interventions patrimoniales en horlogerie (actualisé en 2022), notamment du point de vue des chercheurs, basé sur ma propre expérience et mes interactions avec divers acteurs du patrimoine, ainsi que de nombreux cas concrets. Dans ce guide, j'ai essayé de définir la notion de patrimoine et de ne pas la considérer comme évidente, et j'ai essayé de clarifier pourquoi le patrimoine est conservé, et pour qui, et les conséquences des réponses à ces questions.

Le patrimoine ne se réduit pas qu'aux œuvres matérielles, et une restauration ne se réduit pas à remettre une œuvre dans un état de référence. C'est en fait beaucoup plus, et notamment cela implique une communicabilité intégrale des données de la recherche, une accessibilité de l'œuvre aux chercheurs (y compris hors marchés), une prise en compte des besoins des chercheurs, une supervision scientifique des interventions, etc. Ceci est vrai quelle que soit l'œuvre patrimoniale, c'est vrai pour l'architecture, la peinture, la sculpture, le mobilier, etc., mais c'est peut-être encore davantage vrai pour le patrimoine scientifique et technique.

Il est assez incroyable que des conservateurs et des restaurateurs défendent l'idée que des restaurateurs seuls puissent intervenir de manière satisfaisante sur le patrimoine, ou que les chercheurs hors-marchés doivent être tenus à l'écart des interventions patrimoniales. Il y a pourtant deux considérations essentielles à prendre en compte :

Il y a de multiples exemples qui démontrent que lorsqu'une intervention sur une œuvre horlogère (et même, plus généralement, une œuvre technique) n'est supervisée que par des conservateurs historiens de l'art (et donc non techniciens et sans recul et compétences techniques et scientifiques, sans non plus l'expérience de la recherche dans ce domaine) et que les intervenants ne sont que des restaurateurs, fussent-ils de l'INP, il en résulte de grands manquements d'une part pour l'étude et la documentation des œuvres, et d'autre part pour l'accessibilité des données de la recherche. Pour un état des lieux de la documentation des œuvres lors d'une intervention patrimoniale, on pourra lire cette synthèse :

D. Roegel : La documentation du patrimoine scientifique par les restaurateurs. L’exemple des horloges., 2022

Les deux points précédents sont effectivement à la racine des problèmes que l'on observe dans les interventions sur l'horloge astronomique de Besançon, sur la pendule astronomique à 10 cadrans de Fontainebleau, sur les restaurations des horloges de Cluses, sur celle de la pendule de Passemant à Versailles, ou encore sur la pendule de la création du monde de Passemant au Louvre, pour ne citer que celles-là.

Il ne faut pas non plus que la communication et l'accessibilité se limitent à la médiation culturelle (laquelle suppose souvent que le public ne peut pas tout comprendre ou n'a pas le temps de tout comprendre) et les conservateurs doivent réaliser que des chercheurs extérieurs peuvent apporter quelque chose aux œuvres et aux structures elles-mêmes (musées, etc.), et quelque chose d'autre que ce qui peut être produit de manière interne. Vu autrement, les musées, municipalités, etc., peuvent contribuer au développement scientifique des œuvres, et à la connaissance plus générale (qui dépasse le cadre d'une œuvre) en s'ouvrant davantage. Le fonctionnement d'un musée, ou d'une autre structure, en vase clos ne permet pas un développement scientifique optimal des œuvres, comme on peut le constater dans divers cas. À Fontainebleau par exemple, il n'y a pas eu de production scientifique complète et accessible pour la pendule astronomique à 10 cadrans (2021), et à Beauvais l'entreprise qui a restauré l'horloge astronomique, et l'horloger qui est responsable de son entretien, n'ont pas réalisé de documentation complète et accessible, alors qu'ils en avaient les moyens. Le livre publié en 2016, par exemple, ne contient aucune photographie de la restauration de 2011.

Il faut aujourd'hui que les musées, les DRAC, les municipalités, etc., aient une approche plus moderne du patrimoine, et ne réfléchissent pas simplement en termes de conservation matérielle des œuvres et d'accès du public à ces œuvres, mais plus généralement en termes d'accès des données du patrimoine. Les institutions patrimoniales devraient s'engager à communiquer ces données (rapports, photographies, relevés, etc.), par exemple dans un entrepôt tel que celui créé le 8 juillet 2022 pour les données de la recherche.

Bien évidemment, l'ouverture des données de la recherche présuppose que cela puisse avoir un intérêt, et donc 1) qu'il existe d'autres chercheurs, et 2) que la recherche ne puisse pas entièrement être faite en interne. Ceux qui sont convaincus qu'il n'y a pas d'autres chercheurs ne verront évidemment pas l'utilité de l'ouverture. Par contre, ils pourront peut-être réaliser que ce qui a été fait jusqu'à présent comporte des erreurs et des lacunes.

On comprend bien aussi que les données de recherche produites par un restaurateur pour un musée (par exemple des plans, des mesures, etc.) pourraient un jour servir en interne, même si elles ne sont pas tout de suite utiles, et que par conséquent le musée souhaite se réserver leur exploitation. Toutefois, à un moment donné les interventions internes sur le patrimoine cessent et le marché atteint sa conclusion. D'autre part, les musées ont des missions d'ouverture, et n'ont pas comme vocation à conserver des données au cas ou elles pourraient un jour leur servir. Dès lors que les données ont été exploitées, elles devraient être rendues accessibles à tous.

Enfin, la question des données doit être distinguée de celle des procédés. Un restaurateur peut réaliser un plan, il peut mesurer des dimensions, compter des nombres de dents, etc., mais tout cela produit des résultats qui ne sont pas des procédés. Il ne peut pas y avoir de secret ou d'embargo sur ces résultats, qui non seulement ne sont pas des procédés, mais ne font même pas intervenir un savoir-faire unique à l'entreprise. Bien des gens savent faire des plans, compter des dents, etc., même si tout le monde ne le fait peut-être pas de la même manière.

Le contenu de cette page va prochaînement s'enrichir.

D. Roegel

Dernière modification : 17 septembre 2022.