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Pour des informations générales sur le projet Chronospédia et ses dangers pour le patrimoine horloger, voyez cette page.
Depuis 2022, voire avant, M. Simon-Fustier présente son projet Chronospédia comme une encyclopédie contenant des modèles 3D open source, ou open access, sans jamais clairement préciser ce qu'il entend par là. Ce leitmoviv séduit sans doute de nombreuses personnes, notamment parce qu'il est dans l'air du temps. Mais qu'en est-il vraiment ?
Le terme d'open source est assez bien défini. En général, il s'applique à des logiciels dont le code source est disponible. La presque totalité des logiciels commerciaux ne sont pas open source. Pour prendre un exemple dans le monde de la CAO, le logiciel SolidWorks n'est pas open source. L'utilisateur, même ayant payé une licence, n'a pas accès au code source du logiciel.
La notion d'open source est souvent synonyme de libre, car beaucoup de logiciels open source sont conçus et maintenus par des communautés bénévoles, qui ne font pas une exploitation commerciale de ces logiciels.
On parle aussi de code source dans le cas de certaines
données qui sont transformées. Par exemple, dans la communauté scientifique,
beaucoup de chercheurs utilisent le formateur
LaTeX où il y a un code
source textuel qui est habituellement transformé en PDF. Si on utilise
Microsoft Word, on peut aussi transformer un fichier docx
en PDF et voir le docx
comme un fichier source.
Dans le cas des fichiers de modèles 3D, le code source est finalement
le code qu'utilise directement le logiciel de CAO. Pour SolidWorks,
ce sont habituellement des fichiers SLDPRT
Ce terme est beaucoup moins employé, mais sa signification est tout de même assez claire. Il fait référence à des données qui sont accessibles librement, par opposition à des données accessibles uniquement de manière restreinte, ou par abonnement. L'idée de l'open access est que tous puissent accéder à une ressource et de manière gratuite.
Dans le cas de modèles 3D, cette notion peut signifier que ces modèles sont accessibles à tous, sans authentification, sans abonnement particulier, et sans avoir à payer quoi que ce soit.
Le discours de Chronospédia, à la fois de M. Simon-Fustier et de M. Protassov, s'articule autour de nombreuses fausses prémisses, qui sont présentées à des publics qui généralement ne sont pas des experts de la conservation du patrimoine horloger, pas des chercheurs, et pas des experts de la 3D. De plus, le discours est en apparence cautionné par divers chercheurs ou conservateurs, qui n'ont en fait pour la plupart aucune expérience dans l'inventaire du patrimoine, ou dans la 3D, et qui ne connaissent ni les urgences de la conservation du patrimoine horloger, ni les besoins des chercheurs dans ce domaine. Il est alors possible de raconter tout et n'importe quoi, d'obtenir des titres, et même de faire croire que les titres ne sont pas ce qu'ils sont. Tout passe, surtout auprès des bibliothèques et musées !
Tout le discours s'appuie sur des mensonges et des approximations. Ainsi, la motivation de M. Simon-Fustier semble être de vouloir sauver l'horlogerie. Il dit ainsi que
Malheureusement pour M. Simon-Fustier, ce qu'il dit est faux, et pour plusieurs raisons. M. Simon-Fustier s'exprimait dans le contexte des horloges d'édifice que je connais bien (j'en ai examiné un millier et publié plusieurs articles à ce sujet) et tous ceux qui travaillent sur des horloges d'édifice savent que ce sont des mécanismes très simples, et que la difficulté essentielle est de les nettoyer. Le savoir-faire de démontage n'est pas perdu, parce qu'il n'est pas propre à l'horlogerie. Et le savoir-faire de réglage n'est pas non plus perdu, car il repose sur la réflexion. Le jour où les gens ne sauront plus démonter une horloge d'édifice, ce sera le jour où il n'y aura plus de machines. Et le jour où les gens ne sauront plus régler une horloge, c'est le jour où il n'y aura plus d'intelligence. Tout cela arrivera peut-être un jour, mais on n'y est pas encore. Ce ne sont pas quelques modèles 3D qui vont apprendre l'utilisation de clés à molette, le nettoyage de surfaces, ou le réglage. Pire, certaines vidéos de Chronospédia risquent de contribuer à supprimer la réflexion, en donnant des recettes toutes faites.
Mais ce que dit M. Simon-Fustier est aussi faux parce que les professionnels eux-mêmes, à savoir les horlogers, ou les entreprises campanaires, n'ont aujourd'hui plus guère le savoir-faire pour restaurer correctement une horloge d'édifice et la documenter, du moins en France. M. Simon-Fustier, lui-même, n'a fourni qu'une documentation très superficielle pour l'horloge qu'il a restaurée à Cluses, et je ne crois pas qu'il soit bien placé pour donner des leçons à d'autres, peu importe les titres qu'il possède (et celui de maître d'art ne sanctionne pas des connaissances en horlogerie, faut-il le rappeler).
La vérité, c'est donc à la fois que les compétences sont présentes et non perdues, mais que ce ne sont souvent pas les horlogers qui ont ces compétences. Dans 15 ans, on saura toujours restaurer les horloges et pendules, même sans Chronospédia.
Maintenant, lorsque M. Simon-Fustier dit (6 octobre 2022) que je pense qu'il y a plein d'horlogers qui sont bien meilleurs que moi, moi j'ai eu le titre [de maître d'art] et ça permet d'avancer, il dit certes quelque chose de vrai, à savoir que de nombreux horlogers sont meilleurs que lui, mais aussi quelque chose de faux, à savoir que ce titre permet à Chronospédia d'avancer, parce que cet avancement se fait au détriment du patrimoine horloger.
En ce qui concerne l'accessibilité des sources, lors de l'interview de M. Simon-Fustier sur Futura en février 2025, celui-ci a affirmé :
Ce que M. Simon-Fustier ne dit pas, c'est que premièrement les modèles 3D de son atelier ne sont pas disponibles et ne l'ont jamais été, et deuxièmement que seuls certains partenaires ont accès aux fichiers source SolidWorks. La notion de liberté que M. Simon-Fustier évoque est donc toute relative.
Mais la notion de modèles ouverts, open source, était déjà évoquée plusieurs années auparavant. Par exemple, le 6 octobre 2022, M. Simon-Fustier était intervenu au second forum d'ARC horloger à Porrentruy. Il y a entre autres déclaré :
Il est intéressant d'entendre dire M. Simon-Fustier que depuis des années [il] piratai[t] leur logiciel [SolidWorks], il faut quand même le dire, parce qu'[il] n'avai[t] pas 8000 euros à mettre dans la licence d'utilisation de leur produit. (6 octobre 2022) Il s'en vantait déjà lors d'une participation à un colloque en 2021 et, lorsque je le lui ai signalé, il a trouvé intéressant de transmettre mon signalement à son avocat.
Il est aujourd'hui assez clair que les auteurs de Chronospédia n'ont aucune intention de rendre leurs modèles 3D accessibles librement à tous. Pas un seul modèle source n'a été mis en ligne depuis que M. Simon-Fustier a fait connaître les modélisations de son apprenti S. Lucchetti vers 2015, et malgré de nombreuses incitations et de nombreux signalements de ma part, la situation n'a pas évolué.
Par ailleurs, les auteurs de Chronospédia ne semblent pas non plus disposés à mettre en ligne les modèles 3D dans un format d'échange comme STEP. Tout au plus prévoient-ils de stocker les modèles dans ce format dans le Conservatoire national des données 3D. À ce jour cependant, aucune donnée n'a été déposée par Chronospédia. De plus, il n'est pas du tout certain que tout un chacun aura un accès libre à ces modèles STEP.
On peut évidemment comprendre que les sources SolidWorks ne soient pas diffusés, car l'accord avec Dassault Systèmes ne le permet pas. Néanmoins, M. Simon-Fustier continue de parler d'open source, ce qui est donc un mensonge.
Les auteurs de Chronospédia ont simplement mis en ligne des modèles dégradés glTF utilisables dans des visionneuses, mais dont l'intérêt est quasiment nul pour la recherche.
L'idée de Chronospédia est de rendre les modèles accessibles à des partenaires disposés à travailler avec Chronospédia (6 octobre 2022). Il ne s'agit donc aucunement d'un accès ouvert, et ce genre d'accord rappelle ceux entre Microsoft et des fabricants d'ordinateurs qui préinstallent le système d'exploitation Windows. Il y a deux traitements différents : celui des sympathisants de Chronospédia, et les autres. Les modèles de Chronospédia ne sont donc ni open source, ni open access. Il est clair que Chronospédia utilise ainsi un moyen de développer son contrôle, sans abandonner ses modèles, contrairement à ce qu'affirme M. Simon-Fustier.
Les auteurs de Chronospédia cherchent par ailleurs à ajouter diverses ressources documentaires, non pas pour leur intérêt horloger, mais afin d'attirer des coopérations et ainsi d'accroître encore le contrôle de Chronospédia sur le patrimoine horloger.
Comme je l'ai déjà dit ailleurs, ce développement ne répond pas aux urgences du patrimoine horloger et Chronospédia ne fait en fait rien pour répondre aux nécessités de l'inventaire, pour faciliter le travail des chercheurs, ou encore pour sauvegarder le savoir-faire horloger qui n'est pas qu'une compilation de modèles 3D et d'ouvrages d'archives. Chronospédia ne respecte par exemple pas la liberté de recherche et, dans certains cas, freine la recherche sur le patrimoine horloger. La focalisation sur la 3D, le discours fallacieux de Chronospédia, l'illusion de l'ouverture, sont malheureusement des messages que les musées, bibliothèques et associations horlogères gobent tous.
Denis Roegel, 10 juin 2025. https://roegel.wixsite.com